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Découverte d’un biomarqueur du cancer par des chercheurs de l’Institut du cancer Rosalind et Morris Goodman.

Découverte d’un biomarqueur du cancer par des chercheurs de l’Institut du cancer Rosalind et Morris Goodman.

Les chercheurs au Centre du cancer Goodman (précédemment le Centre du cancer McGill) furent les premiers à découvrir un biomarqueur du cancer. Ils étudient celui-ci, ainsi que les membres de sa famille de gènes depuis plusieurs années. 

Nous relatons ici les travaux des chercheurs Dr Phil Gold, Dr Cliff Stanners et Dre Nicole Beauchemin

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Qu’est-ce que le cancer

Le cancer est une maladie dans laquelle les cellules de notre corps sont déréglées. Au lieu de croître normalement, de fonctionner, de rester à leur place et, éventuellement, de mourir, les cellules cancéreuses cessent de se comporter normalement. Le cancer n’est pas une maladie unique, mais plutôt un terme général que l’on applique à ces types de maladies. Contrairement aux bactéries et aux virus que notre corps peut reconnaître comme étant “étrangers”, puis attaquer en utilisant nos réponses immunitaires, le cancer est plus difficile à combattre puisque celui-ci se développe à partir des cellules qui constituent notre propre corps. Notre corps peut ne pas être en mesure de reconnaître le cancer comme étant “étranger” même si ces cellules ne fonctionnent plus comme elles le devraient. 


Dr. Phil Gold.

Alors qu'il travaillait à l'Hôpital général de Montréal dans les années 1960, le Dr Phil Gold a vu de nombreux patients atteints de cancer qui avaient subi une intervention chirurgicale pour enlever des tumeurs et qui, après leur opération, avaient été traités soit par radiothérapie, soit par des médicaments anticancéreux (chimiothérapie). À l'époque, les traitements par radiations et médicaments ciblaient les cellules qui se divisent rapidement, ce qui est une caractéristique des cellules cancéreuses. Malheureusement, d'autres cellules du corps, telles que les cheveux, la peau, les cellules sanguines et les cellules tapissant l'intestin se répliquent tout aussi rapidement, ce qui entraîne leur destruction en même temps que celle des cellules cancéreuses. Les patients souffraient d'horribles effets secondaires dus aux traitements. Le Dr Gold s'est alors demandé s'il n’existait pas un élément plus spécifique aux cellules cancéreuses pour cibler celles-ci en thérapie. Il avait lu un article dans une revue scientifique qui indiquait qu'il n'existait pas encore de marqueur pour le cancer et concluait que "l'on n'en trouverait jamais". Dr Gold n'était pas d'accord et se dit qu'il devait en chercher un.

Le domaine de l'immunologie étant en pleine expansion à cette époque, le Dr Gold s'est tourné vers l'immunologie pour trouver les outils qui pourraient l’aider dans sa recherche. L'un de ces outils immunologiques était l'antisérum, soit la matière sanguine contenant des anticorps. Il était possible d’injecter du matériel tumoral à des animaux, prélever leur sang et isoler l’antisérum antitumoral du sang. Comme il n'existait pas de marqueurs du cancer à l'époque, il était difficile d'isoler et de séparer le matériel tumoral du matériel non cancéreux ou normal. Le Dr Gold avait besoin d'un moyen de s'assurer que les anticorps produits lors de l'injection du matériel aux animaux étaient spécifiques aux cellules cancéreuses et non aux cellules normales.


Antisera of rabbit habituated to normal tissue (C) reacts with the colorectal cancer material (B)
but not with the normal tissue material (A), as shown by a bright white band

Des chercheurs avaient démontré qu'il était possible de rendre des animaux “immuno-tolérants". Ils ont exposé, peu après leur naissance, des souris d'une souche (par exemple, la souche A) à des cellules de souris d'une souche différente (la souche B). Plus tard, lorsque les souris de la souche A sont devenues adultes, les scientifiques ont constaté que les souris de la souche A ne produisaient pas d'anticorps contre les tissus des souris de la souche B. En d'autres termes, le système immunitaire des souris de la souche A reconnaissaient les cellules des souris de souche B comme étant semblables à elles-mêmes plutôt que de source étrangère. Le Dr Gold tenta alors une expérience similaire, mais au lieu d'utiliser différentes souches de souris, il utilisa  différentes espèces d'animaux. Il voulait voir si l'exposition de bébés lapins à des tissus humains pouvait rendre les bébés lapins "immuno-tolérants" aux tissus humains normaux. Le Dr Gold avait un dicton : "Lorsque vous cherchez une aiguille dans une botte de foin, la première étape consiste à enlever la botte de foin", et la recherche d'un biomarqueur du cancer était sans aucun doute une aiguille dans une botte de foin. Son projet de rendre les lapins immuno-tolérants aux tissus normaux était sa façon d'éliminer la "botte de foin" ou tout anticorps qui aurait été généré contre les tissus normaux. Plus tard, lorsque les lapins devinrent plus âgés et qu'il leur injecta du tissu tumoral, les animaux ne devaient produire des anticorps que contre les particules cancéreuses.

Ensuite, le Dr Gold a dû trouver du matériel tumoral et non tumoral provenant du même patient. À l'époque, les tissus provenant des opérations chirurgicales venaient soit de patients atteints de cancer, soit, pour le matériel non cancéreux, de patients ayant subi des opérations pour des raisons autres que le cancer. Il voulait éviter les complications liées au fait que les réactions immunitaires auraient été provoquées par des tissus provenant de personnes différentes, plutôt que par des tissus tumoraux et non tumoraux. En lisant des articles scientifiques, il a découvert que les tumeurs dans l'intestin des cancers du côlon ne s'étendent pas au-delà de 5 à 6 cm de la tumeur visible à l'œil nu, et que les chirurgiens, lorsqu'ils enlèvent les tumeurs, coupent généralement des zones légèrement plus grandes au-delà de la tumeur. Le Dr Gold disposait désormais de matériel provenant du même patient qu'il pouvait séparer en toute confiance en tissu tumoral et en tissu normal, et il a préparé ce matériel pour l'injecter aux animaux.

Un deuxième défi se manifesta lors de la génération des lapereaux "à tolérance immunitaire acquise". Les mères lapines n'aiment pas que leurs bébés soient manipulés par des étrangers. L'odeur d'un étranger sur les lapins nouveau-nés pourrait inciter les mères à faire du mal à leur progéniture, voire à la tuer. Le Dr Gold a dû habituer les lapines à son odeur et a donc passé de longues périodes dans les salles réservées aux animaux avec les lapines avant qu'elles ne mettent bas. Les lapines se sont habituées à son odeur, mais le Dr Gold a constaté que ses collègues l'évitaient dans la salle de pause. Dans les huit heures suivant leur naissance, le Dr Gold a administré aux lapins nouveau-nés leur première injection de matériel non tumoral (matériel normal) provenant de patients. Plus tard, lorsque ces lapins sont devenus adultes et qu'ils ont acquis une tolérance immunitaire au matériel intestinal humain normal, il leur a injecté du tissu cancéreux provenant du même patient que celui dont ils avaient reçu le tissu intestinal normal peu après leur naissance. Quelques semaines plus tard, il a recueilli les antisérums de ces lapins.

Le Dr Gold a ensuite testé les antisérums dans un gel d'agar (semblable au Jell-o, mais qui ne se mange pas) dans lequel il a placé le matériel tumoral dans un puits central et les différents antisérums dans les puits avoisinants. Les substances contenues dans les puits s'infiltrent dans le gel et si l'antisérum réagit au tissu testé, une bande apparaît lentement. Comme ces bandes prennent du temps à se développer, il ramena la plaque à la maison pour la fin de semaine. Le lendemain, après leur café matinal, sa femme et lui ont regardé les plaques et ont vu une seule bande blanche dans le gel : il y avait une réaction entre le matériel tumoral et les antisérums des lapins immunologiquement tolérants qui avaient été injectés plus tard avec le matériel tumoral. Le système immunitaire des lapereaux avait traité le tissu normal comme un élément du "soi" et avait produit des anticorps contre quelque chose dans le matériel tumoral. Enfin, la preuve était faite que le matériel tumoral contenait quelque chose d'unique que l'on ne trouvait pas dans le matériel normal. À ce moment-là, le Dr Gold eut conscience qu'il savait quelque chose que personne d'autre au monde ne savait. Il avait identifié un marqueur du cancer. Le lundi, il s'empressa d'en informer tous les membres du laboratoire. En 1965, le Dr Gold et son superviseur, le Dr Samuel Freedman, publièrent dans le Journal of Experimental Medicine les résultats de cette recherche novatrice, qui constituait le premier rapport sur l'existence d'un marqueur spécifique du cancer.

Il présenta ses recherches au département de physiologie de l'université McGill, où on lui demanda si cette molécule cancéreuse pouvait également être présente sur les embryons au cours de leur développement. Le Dr Gold effectua des tests et a constata que les antisérums réagissaient avec les tissus de l'intestin, du foie et du pancréas provenant du matériel embryonnaire. La molécule à laquelle les antisérums réagissaient fut alors nommée antigène carcinoembryonnaire (ACE) pour refléter son expression à la fois cancéreuse et embryonnaire.

Ensuite, le Dr Gold et ses collègues mirent au point un test leur permettant de détecter un milliardième de gramme d'ACE dans un millilitre de plasma humain. Ils publièrent cette méthode en 1969 et ce test révolutionnaire - qui permettait pour la première fois de rechercher un biomarqueur du cancer dans le sang humain - fut d’abord accueilli par le silence. La communauté des chercheurs en cancérologie était sceptique face aux nouvelles découvertes, puisque de nombreux rapports de recherche n'étaient pas reproductibles. Pour convaincre la communauté scientifique, le Dr Gold proposa d'envoyer l'antisérum à divers laboratoires de recherche dans le monde afin qu'ils puissent le tester sur leurs propres échantillons. Une fois que ces différents groupes purent voir l'antisérum fonctionner de leur propre main et sur leurs propres échantillons, ils réagirent très positivement à ces découvertes, ce qui marqua le début de sa collaboration avec de nombreux groupes de recherche.

En 1972, le test de l'ACE devint la première méthode de détection du cancer dont la vente fut autorisée. Aujourd'hui, la détection de l'ACE continue  à être utilisée comme moyen de surveillance des patients atteints de cancer.


Dr. Clifford P. Stanners 

Alors que sa mère voulait qu'il devienne médecin, Cliff Stanners rêvait de devenir un scientifique. Il a décidé de faire un compromis et se lança dans la recherche médicale. Le professeur Stanners a étudié et fait de la recherche à l'Institut du cancer de l'Ontario (O.C.I.) à l'hôpital Princess Margaret de Toronto. Il se retrouvait souvent dans les ascenseurs avec des patients atteints de cancer et discutait avec eux et leurs familles. Ces conversations lui ont permis de comprendre directement les difficultés que les traitements anticancéreux entraînaient pour les patients. Encore à ce jour, il estime que sa compréhension du cancer est l'une de ses forces scientifiques, au même titre que ses connaissances en biologie cellulaire et moléculaire.

En 1982, le professeur Stanners a rejoint le département de biochimie de l'Université McGill et est devenu directeur du Centre du cancer de l'Université McGill en 1988, poste qu'il a occupé jusqu'en 2000.

Le professeur Stanners pensait que l'histoire de l’ACE était très intéressante. Le professeur Gold fut en mesure d'identifier l’ACE puisque celui-ci est exprimé à des niveaux élevés dans les cellules cancéreuses. L’ACE est fortement exprimé dans environ 70 % des cancers humains, mais il s'avéra qu'il était également exprimé, généralement à des niveaux plus faibles, dans les cellules normales. En tant que biologiste cellulaire, il trouva cela très intéressant et voulut comprendre la fonction de l’ACE dans les cellules normales ainsi que pourquoi celui-ci était si étroitement associé à la transformation tumorale.

L'une des premières étapes après l'identification d'un nouveau marqueur consiste à cloner le gène du marqueur, ce qui permet aux scientifiques de mieux étudier le gène et sa fonction et de comprendre comment son expression est contrôlée. En 1987, la professeure Nicole Beauchemin, qui était à l'époque post-doctorante dans le laboratoire du professeur Stanners, a publié la séquence d'ADN du gène cloné au complet.

Peu après, en 1989, l'équipe du professeur Stanners, qui comprenait la professeure Beauchemin, a démontré que la fonction de l’ACE était celle d'une molécule d'adhésion. Les molécules d'adhésion sont nécessaires dans l'organisme pour que les cellules puissent s'attacher les unes aux autres, pour fixer les cellules à un endroit spécifique du tissu en se liant à la matrice extracellulaire, et pour contrôler le mouvement des cellules. Les molécules d'adhésion peuvent également fonctionner comme des traducteurs, en ce sens qu'elles transmettent des informations provenant de la matrice extracellulaire et de l'extérieur de la cellule, puis activent des voies de signalisation à l'intérieur des cellules qui peuvent conduire à des réponses cellulaires spécifiques.

À peu près à la même époque, des chercheurs de l’Institut du cancer Rosalind et Morris Goodman, ainsi que de laboratoires du monde entier ont découvert, après avoir cloné l'ACE, qu'il existait d'autres molécules présentant des caractéristiques similaires à celles de l'ACE ; une famille de molécules d'ACE. Ces membres de la famille partageaient des éléments structurels communs, mais comportaient également des différences. En 1999, il fut convenu de nommer les membres de cette famille de gènes "molécules d'adhésion cellulaire à l'antigène carcinoembryonnaire" ou CEACAM. L’ACE original identifié par le professeur Gold fut alors reconnu comme étant CEACAM5.

Le professeur Stanners a démontré que les membres de la famille de gènes CEACAM sont répartis sur la membrane de la surface cellulaire en grappes, appelées "radeaux", et que l’ACE pouvait se fixer (se lier) à de nombreuses molécules différentes. Il pouvait se lier à lui-même, à d'autres CEACAM ou à d'autres molécules d'adhésion telles que des intégrines ou des protéines. En bloquant différentes sections des molécules CEACAM, il a pu voir si leur capacité à se lier à d'autres molécules d'adhésion était affectée, puis il évalua si des événements ultérieurs se produisaient ou non. Ce processus lui a permis d'identifier les différentes voies de signalisation activées en réponse aux CEACAM.

Pour étudier la fonction des molécules, à la fois dans le corps normal et dans un état pathologique, les scientifiques ont recours à des modèles animaux, tels que les souris. Dans le cas de l’ACE, cependant, les souris ne possèdent pas la version murine de l’ACE, mais elles expriment d'autres types similaires aux CEACAM1 et 2 humains. Comme il est difficile d'utiliser des souris de type sauvage pour évaluer les effets des autres membres des CEACAM, des décennies de recherche ont été menées en utilisant des cellules en culture (in vitro) et, plus tard, des souris modifiées pour exprimer les CEACAM humains (souris transgéniques).

Le cancer est un processus en plusieurs étapes au cours duquel le comportement normal des cellules se dérègle. Ces étapes comprennent la croissance et la réplication (prolifération) illimitées des cellules, l'absence de maturation ou de différenciation des cellules, la modification de la forme des cellules (morphologie), l'évitement de la mort cellulaire programmée (apoptose) et, finalement, la sortie des cellules de leur région locale vers d'autres endroits du corps (métastases).

Le professeur Stanners a passé des décennies à étudier minutieusement comment l’ACE et sa famille de CEACAM sont impliqués dans le processus à plusieurs étapes du cancer. En utilisant des cellules myoblastes de rat, qui devraient normalement se transformer en cellules musculaires, il a montré qu'en exprimant l’ACE humain dans ces cellules, le processus de maturation ou de différenciation était stoppé. Lui et son équipe ont montré que lorsqu'ils prenaient des cellules coliques humaines et les manipulaient pour surexprimer l’ACE et le CEACAM6 à des niveaux de dix à trente fois supérieurs à la normale, ce qui correspond aux niveaux observés dans les cancers du côlon, les cellules ne se différenciaient pas et ne formaient pas de "cryptes", qui constituent la structure physique ou l'architecture normale du côlon.

Bien que de nombreux travaux portant sur l'étude des effets de la famille de gènes de l’ACE aient été réalisés sur des cellules en culture, il est toujours nécessaire d'observer ce qui se passe dans des êtres vivants à part entière (in vivo). D'autres chercheurs ont réussi à créer une souris exprimant le gène ACE humain (CEACAM5). Ces souris, bien qu'exprimant CEACAM5 dans les tissus à des niveaux identiques à ceux de l'homme, n'ont pas développé de tumeurs. Comme ces souris n'exprimaient que l’ACE humain et non le CEACAM6 humain, qui sont généralement exprimés ensemble chez l'homme, il fut suggéré que les deux gènes étaient peut-être nécessaires pour observer des changements.

Le professeur Stanners et son équipe entreprirent alors de tester cette idée et générèrent des souris transgéniques en prenant un très long tronçon de 187 kilobases d'ADN, qui contenait quatre gènes liés à l’ACE humain : CEACAM5/CEACAM6/CEACAM3 et CEACAM7. Carlos Chan, doctorant du professeur Stanners à l'époque, est celui qui a réussi à introduire ce long brin d'ADN ou, comme l'a décrit le professeur Stanners, "un morceau de spaghetti de 20 pieds de long sans le casser" dans le chromosome artificiel bactérien. Grâce à cette méthode, ils ont réussi à générer des souris transgéniques qui possédaient soit deux ou dix copies du transgène. En accouplant des animaux qui avaient dix copies, ils ont obtenu des souris avec 20 copies.

L'avantage d'avoir des souris ayant deux, dix et 20 copies de l’ACE/CEACAM6 humain est que les chercheurs ont constaté une augmentation des niveaux d'expression avec l'augmentation du nombre de copies. Tout changement entre les groupes de souris pouvait être attribué à l'augmentation de l'expression génétique. Chez les souris à deux copies, les chercheurs ont constaté peu de changements par rapport aux souris de type sauvage. En contraste, avec les souris à 20 copies, les chercheurs ont immédiatement constaté que les souris transgéniques étaient physiquement plus petites que les souris de type sauvage. En étudiant ces souris à 20 copies, ils ont constaté qu'elles exprimaient des niveaux élevés d’ACE, semblables à ceux que l'on trouve généralement dans les cancers colorectaux humains. Bien que physiquement plus petites, les chercheurs ont examiné les colons des souris à 20 copies, qui étaient plus grands, tant en longueur qu'en diamètre, que ceux des souris de type sauvage.

Les chercheurs ont examiné au microscope les colons des souris à 20 copies et ont constaté que l'architecture du côlon était anormale et semblait similaire à celle observée dans les tumeurs colorectales humaines. Il est important pour l'organisme de maintenir l'architecture correcte de nos tissus et de nos organes. C'est pourquoi l'organisme a la capacité d'éliminer toute cellule qui n’est plus attachée à la matrice extracellulaire en ordonnant à ces cellules de s'autodétruire, ou de mourir. Dans le côlon des souris à 20 copies, les chercheurs ont observé des cellules qui n'étaient pas correctement ancrées à la matrice extracellulaire, mais qui ne mouraient pas, ce qui indique que le mécanisme de contrôle normal ne fonctionnait pas. Les chercheurs ont conclu que la raison pour laquelle les souris à 20 copies étaient physiquement plus petites que les souris de type sauvage est que leur côlon était plus gros puisque ces cellules proliféraient trop et ne mouraient pas lorsqu'elles le devaient. Ces cellules anormales signifiaient que l'architecture du côlon est affectée, ce qui empêche le côlon de digérer correctement les aliments. En bref, les souris étaient incapables d'isoler les nutriments dont elles avaient besoin pour grandir.

L'une des trouvailles centrales de ses expériences avec les souris transgéniques à deux, dix et 20 copies est que le professeur Stanners a pu affirmer que la réduction des niveaux d'expression élevés d’ACE et de CEACAM6 observés chez les patients cancéreux à des niveaux normaux pourrait être un moyen de réduire les tumeurs chez l'humain. Le professeur Stanners a toujours voulu comprendre le cancer humain dans le but d'aider les patients, et ses travaux ont mis en évidence un mécanisme permettant d'atteindre cet objectif.


Dre Nicole Beauchemin

Nicole Beauchemin a toujours eu un intérêt en médecine et elle avait d’abord eu l’intention de faire des études de médecine. Par contre, après avoir suivi quelques cours de médecine, elle se rendit compte qu'elle préférait étudier les causes des maladies. Ironiquement, le professeur Beauchemin finit par enseigner aux étudiants en médecine de McGill pendant 25 ans.

La professeure Beauchemin est venue à l'Université McGill pour travailler en tant que boursière postdoctorale dans le laboratoire du professeur Stanners, mettant à profit son expérience en biologie moléculaire pour étudier les biomarqueurs du cancer. Dans le cadre de son doctorat à l'Université de Montréal, elle avait étudié l'ARN de transfert, les molécules qui font le lien entre l'ARN messager et les acides aminés pour former les protéines. Elle se rappelle avoir été fascinée par de multiples aspects de la biologie, notamment la virologie, la parasitologie, les systèmes immunitaires et même la phytotechnie, mais c'est en recherche sur le cancer qu'elle a senti qu'elle pouvait réaliser ses intérêts. La recherche sur le cancer pourrait ainsi lui permettre de faire le lien entre les connaissances de base et la compréhension de la biologie de la maladie et, avec un peu de chance, de traduire ces connaissances en aide aux patients atteints de cancer.

En 1988, le professeur Stanners a demandé à la professeure Beauchemin de se joindre au Centre de cancérologie de McGill en tant que professeure adjointe. Elle a obtenu une bourse de recherche pour observer les similitudes et les différences entre les modèles de souris et les biomarqueurs du cancer humain. Bien que le cancer ait été son principal centre d'intérêt, la professeure Beauchemin explique qu'en étudiant des modèles murins génétiquement modifiés de maladies humaines, elle a dû comprendre comment les gènes fonctionnaient normalement chez les souris et les humains, puis comment l'expression de ces gènes se modifiait en cas de maladie. En tant que chef de file dans le domaine du développement de différents modèles de souris génétiquement modifiées, le professeur Beauchemin a reçu de nombreuses demandes d'accès à ses souris de la part de collègues scientifiques. Elle s'est toujours montrée disposée à partager ses souris, ce qui lui a permis de participer à de nombreuses recherches et expériences en tant que collaboratrice.

Les souris ne possèdent pas de version de l'ACE humaine (CEACAM5), mais expriment deux gènes de la famille de l'ACE, appelés Ceacam1 et Ceacam2. CEACAM1 est la protéine la plus largement distribuée de la famille des gènes CEACAM. Elle est exprimée dans de nombreuses cellules telles que le foie, les intestins, les reins et les cellules immunitaires, notamment les lymphocytes T, les lymphocytes B, les neutrophiles, les macrophages et les monocytes. Cette protéine est également exprimée dans les cellules épithéliales des tissus reproducteurs tels que la prostate, le sein et l'utérus. Le professeur Beauchemin décrit CEACAM5 et CEACAM1 comme des images en miroir l'une de l'autre. Dans un scénario où CEACAM5 aurait un effet positif, CEACAM1 aurait probablement un effet négatif et vice versa. Que se passera-t-il chez l'homme si l'on bloque CEACAM1, comment l'autre partie du miroir réagira-t-elle ?

La professeure Beauchemin a voulu savoir ce qui se passerait chez les souris si CEACAM1 n'était pas exprimé ; les souris survivraient-elles et, dans l'affirmative, quelles différences pourraient être observées chez celles-ci. Les souris knock-out Ceacam1 ont effectivement survécu et lorsque les chercheurs ont examiné le côlon des souris knock-out Ceacam1, ils ont constaté que les cellules du côlon proliféraient davantage et que les cellules des villosités coliques ne subissaient pas la mort cellulaire instruite dans la même mesure que chez les souris de type sauvage. De plus, lorsqu'ils ont traité les animaux avec un produit chimique pour induire des tumeurs du côlon, les souris knock-out Ceacam1 avaient plus de tumeurs que les souris de type sauvage. Toutes ces données confirment l'idée que CEACAM1 joue le rôle de suppresseur de tumeurs.

Comme CEACAM1 peut jouer le rôle de suppresseur de tumeurs, la professeure Beauchemin a estimé qu'il était essentiel de comprendre comment la fonction de CEACAM1 est contrôlée. Chez l'homme, CEACAM1 peut être généré sous la forme de différentes isoformes, dont certaines sont sécrétées et d'autres non. Parmi les isoformes non sécrétées, certaines diffèrent dans la partie extracellulaire de la molécule, qui est la région impliquée dans la fonction d'adhésion de la molécule. D'autres isoformes diffèrent par la longueur des parties situées à l'intérieur des cellules, ou domaines cytoplasmiques. Ces isoformes sont nommées, à juste titre, les longues (L) et les courtes (S) en fonction de la longueur de leurs queues cytoplasmiques. Les expériences de signalisation réalisées par la professeure Beauchemin ont montré que la forme longue de CEACAM1 (CEACAM1-L), après liaison, comporte des résidus activés qui signalent à leur tour à d'autres molécules de se lier à CEACAM1-L et d'interrompre son activation de manière à s'autoréguler.

Lorsque les tumeurs cancéreuses grossissent, elles ont besoin de plus d'oxygène et de nutriments. L'organisme dispose d'un processus de développement de nouveaux vaisseaux sanguins, appelé angiogenèse, qui peut être utile pour résoudre les accidents vasculaires cérébraux ou certaines formes de maladies cardiaques. La professeure Beauchemin et son équipe se sont demandé si les vaisseaux sanguins jouaient un rôle dans le cancer et le développement des tumeurs. Ils ont à nouveau utilisé des souris knock-out Ceacam1, mais cette fois-ci, ils les ont comparées à des souris exprimant des niveaux élevés de Ceacam1. Les chercheurs ont voulu évaluer dans quelle mesure les cellules de ces différents animaux étaient capables de développer de nouveaux capillaires sanguins. Ils ont tout d'abord testé si les cellules isolées des animaux étaient capables de se développer in vitro dans un Matrigel. Les gels contenant des cellules des souris knock-out Ceacam1 ne présentaient pas de nouveaux capillaires, alors que les gels contenant des cellules des souris surexprimant Ceacam1 présentaient de nombreux nouveaux capillaires. Ensuite, ils ont examiné directement la croissance des nouveaux vaisseaux sanguins chez les animaux et ont montré que l'expression de CEACAM1 était importante.

En plus des modifications du côlon chez les souris knock-out Ceacam1, la professeure Beauchemin et ses collaborateurs ont observé que les souris knock-out Ceacam1 étaient plus grosses que les souris de type sauvage. Pour comprendre pourquoi les animaux étaient plus gros, ils ont examiné la signalisation du récepteur de l'insuline dans le foie des souris knock-out Ceacam1. Dans le foie des souris knock-out Ceacam1, la régulation de l'insuline est altérée et le métabolisme des graisses est modifié, ce qui peut conduire à l'obésité. Le professeur Beauchemin et ses collègues ont conclu qu'à l'avenir, lorsqu'on testera les inhibiteurs de CEACAM1 comme thérapie anticancéreuse, il pourrait être judicieux d'exclure les patients atteints de diabète ou de maladie hépatique des essais cliniques ou, au minimum, de les surveiller de près pendant toute la durée des essais.

L'une des thérapies à l'étude implique l'utilisation de cellules immunitaires pour traiter le cancer. La professeure Beauchemin a étudié l'effet de CEACAM1 sur différents types de cellules immunitaires. Pour les cellules T, CEACAM1 peut interagir avec une protéine de cellule T, TIM-3, ce qui lui confère une fonction inhibitrice, "calmant" la réponse immunitaire et limitant l'inflammation. Pour les cellules B, CEACAM1 semble être impliqué dans la maturation et l'activation de ces cellules. Par ailleurs, il a été démontré que l'expression de CEACAM1 sur les cellules tumorales jouait un rôle dans l'évitement des cellules tueuses naturelles par les tumeurs. Ses travaux montrent que CEACAM1 a des effets très différents sur les différentes cellules immunitaires et qu'il est important de comprendre ces effets, en particulier si l'on envisage l’utilisation de cellules immunitaires comme thérapie pour traiter les cancers.

En raison de son intérêt en virologie, la professeure Beauchemin commença à travailler avec le plus grand spécialiste au monde du virus de l'hépatite de la souris, un coronavirus notable. CEACAM1 étant une molécule d'adhésion exprimée sur de nombreux types de cellules, elle constitue une cible de choix pour les virus, qu'ils soient pathogènes pour l'homme ou pour la souris. Ils ont démontré que les souris knock-out Ceacam1 ne pouvaient pas être infectées par le virus, ni développer une maladie du foie, alors que les souris de type sauvage étaient infectées et développaient une maladie du foie et de la moelle épinière. Ces résultats montrent que CEACAM1 est le seul récepteur du virus de l'hépatite de la souris.

Les décennies de recherche de la professeure Beauchemin ont montré que CEACAM1 possède des activités et des fonctions qui sont pertinentes pour le cancer, notamment la prolifération, l'apoptose, l'angiogenèse, l'inflammation, l'évasion immunitaire et même la modification de l'énergie cellulaire (insuline).

Ayant elle-même survécu à un cancer du sein, la professeure Beauchemin raconte les effets et l'impact des traitements agressifs qu'elle a dû subir. Elle espère que ses recherches permettront d'améliorer les traitements anticancéreux au profit des patients atteints de cancer.
 

Résumé

Les 50 dernières années de recherche sur la famille de gènes CEACAM ont abouti à des résultats qui démontrent leur rôle important dans les états normaux et dans le cancer. Ce riche héritage scientifique peut être attribué aux Dr Gold, Stanners et Beauchemin, à un grand nombre d'étudiants diplômés et de post-doctorants ainsi qu'à des collaborateurs cliniques et à une large communauté de scientifiques partageant les mêmes intérêts et les mêmes perspectives : comprendre la biologie qui conduit au développement du cancer et des métastases et identifier de nouvelles cibles (marqueurs) qui nous permettront de vaincre et de guérir le cancer.

Série de conférences publiques

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